Appel à communication

 Colloque Artgame

11 et 12 juin 2024

 

Université de Chicoutimi Nad, Université du Québec à Montréal, Université Paul Valéry

 

Médium artistique et émancipation au XXIe siècle ? 

 

De nos jours, l'industrie du jeu vidéo s'inscrit confortablement dans divers milieux, y compris les sphères artistiques institutionnelles, où sa légitimité en tant qu'art semble solidement établie depuis qu'il a été officiellement reconnu comme le 10e art par le ministère de la Culture en 2006 et intégré au Pass-culture en 2019. Les musées exposent des jeux vidéo industriels dans une dynamique qui affirme le décloisonnement de toutes les catégories artistiques. Cette année 2023, deux expositions muséales montrent le large spectre des jeux vidéo considérés comme artistiques. Au Palais des Beaux-arts de Lille, la 8e édition de l’Open Museum invite les studios Ankama et Spider au musée d’avril à septembre ; au centre Pompidou-Metz l’exposition Worldbuilding, jeux vidéo et art à l’ère digital, de juin 2023 à janvier 2024 propose « la première exposition transgénérationnelle et internationale à étudier la façon dont les artistes contemporains s’approprient l’esthétique et la technologie des jeux comme forme d’expression ». L’objectif, explique l’Open Museum, “est de poursuivre un travail de longue haleine de décloisonnement de l’art”, en mettant en dialogue des objets plus ou moins marchands avec les œuvres du musée.  À Metz, s’exposent plus de 40 artistes contemporains qui font du jeu vidéo, une nouvelle forme d’art, afin d’aborder les enjeux urgents de notre époque. 

Dans les deux cas, le marché des jeux vidéo industriels fait rêver les commissaires d’exposition avec plus de trois milliards de joueurs et joueuses sur la planète, comme le souligne Hans Ulrich Obrist, dans le dossier de presse de Worldbuilding. Ils espèrent par une gamification des espaces artistiques attirer des jeunes et des primo-visiteurs, réussir là où, toutes les politiques de démocratisation de la culture ont échoué, ceci afin de pallier à la diminution des aides et financements publics. À Lille, les œuvres d’arts de la collection permanente du musée sont immergées dans une narration environnementale haptique. Un chevalier sur son destrier se transforme en gardien de moutons, un point d’exclamation suspendu au-dessus de lui. Le jeu vidéo y est présenté selon ses spécificités industrielles de jouabilité. À Metz, les jeux vidéo sont présentés comme l’étaient les films au XXe siècle et les romans au XIXe siècle : l’exposition aborde les thèmes du cyberféminisme et de la pensée décoloniale, le tout dans une démarche non-anthropocentrique. Contrairement aux intrigues discriminatoires et aux représentations stéréotypées des jeux vidéo traditionnels, nous dit-on, ces projets proposent des contre-récits et un gameplay alternatif. La difficulté d’exposer ce médium interactif déplace la pratique artistique vers l’agencement d’un dispositif immersif, l’exposition devient le médium.  

Le Game Art (Bittanti, 2006) est cité dans les textes de présentation de Worldbuilding, l’Artgame (Holmes, 2003) comme mouvement artistique du XXIe siècle n'apparaît nulle part. Pourtant, ce mouvement existe, des artistes, des chercheurs et des chercheuses (tels que Flanagan, Bogost, Pedercini, Brathwaite) s'intéressant aux arts des deux côtés de l’Atlantique participent à son développement depuis les années 2000 (Holmes, 2002). Ces chercheurs et chercheuses sont aussi des artgamers, avec parfois une activité dans l’industrie du jeu vidéo. Leurs travaux de recherche relèvent de différentes disciplines (Humanités numériques, Nouveaux médias, Art, Informatique, etc.), et s'intéressent tous au médium vidéoludique. Ils questionnent l’approche formaliste du jeu qui met au centre du game design : l’activité des joueurs, le plaisir en tant que flow de l’activité ludique, la compétition et les espaces disputés.

Ainsi, le champ de recherche en Arts plastiques et plus particulièrement le champ de recherche en jeu vidéo abordent directement l’étude des jeux et proposent des perspectives de recherche et de création ludique qui mettent l’accent non seulement sur l’expressivité, mais aussi et surtout sur les enjeux idéologiques des procédés artistiques impliqués : par cette critique, les plasticiens et plasticiennes du jeu vidéo, les artgamers, travaillent  l’émancipation des concepteurs et conceptrices comme des individus auteurs, et des joueurs et joueuses comme des individus politiques. Cette analyse spécifique, centrée sur l’élaboration du médium vidéoludique, permet de le décoloniser des standards de l’industrie et des imaginaires culturels et artistiques dominants qui l’irriguent. Ces recherches soulignent les racines d’un art-jeu et du jeu brechtien (Schrank, 2014), tous deux héritiers des Avant-gardes artistiques (Dada, Surréalisme, Situationnisme, Fluxus) dans leur volonté de rompre avec les critères esthétiques établis et dans leurs ambitions politiques. 

L’Artgame se définit par ses créations et ses analyses comme un mouvement artistique qui se donne comme mission d’ouvrir le cadre implicite de ce qui fait jeu, de montrer que les conventions de jouabilité sont posées historiquement et culturellement par des normes construites et répétées de jeux en jeux, en particulier dans son industrie. Au-delà, l’histoire du jeu de société traduit un exemple édifiant de la construction de procédés ludiques et artistiques élaborant des discours supports ou critiques des bonnes mœurs (Lhôte, 1994, Seville 2019, Flanagan 2023, Jakobsson 2023). L’Artgame définit alors les jeux vidéo d’une nouvelle manière, en remettant en question des critères qui semblent, aujourd’hui, classiques tels que la fluidité en tant que jouabilité agréable, boucle de jeu, fun, intégrant compétitivité, accumulation de points ainsi que l’idée même de niveau. Ce mouvement questionne la tendance à une « fétichisation du game design » (Sharp, 2015, p.54) et explore le jeu sous toutes ses coutures, et en particulier là où réside l’action symbolique du joueur et de la joueuse. Celle-ci est souvent ignorée, au profit d’une couche narrative et visuelle prenant le pas sur le discours plus discret des systèmes ludiques. Il conduit à considérer le jeu vidéo dans ses particularités comme étant un médium artistique qui invite au décryptage des idéologies à l'oeuvre au sein des outils du game design (rational game design, game design patterns, design systémique, etc.), soit dans les manières de concevoir et dans les manières de jouer. Derrière cette entreprise de décodage des jeux vidéo, l’Artgame interroge plus globalement la place et la fonction des jeux créés, leurs relations avec une réalité sociale et politique.

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